Jaurès

Publié le par Didier

Extrait de "Le Paris des faits divers" de Serge Garde

Eté 1914, la guerre menace d'éclater. L'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d'Autriche, vient d'être assassiné à Sarajevo, le 28 juin, par un étudiant serbe. L'Europe est une véritable poudrière. Le 31 juillet, Jean Jaurès et les rédacteurs de L'Humanité s'attablent au café du Croissant, 146, rue Montmartre, vers 21 heures. Un consommateur demande au garçon s'il s'agit bien de Jaurès. Le serveur confirme, habitué à répondre aux badauds à ce sujet. Le quidam quitte le café...

 

Jaurès, attablé devant une tarte aux fraises, regarde la photo de la petite fille d'un de ses collaborateurs. Il est dos à la rue. Tandis qu'il s'enquiert de l'âge de celle-ci, une main écarte le rideau derrière lui et pointe un revolver sur son crâne.

 

Deux coups de feu retentissent. Jaurès s'effondre. Dehors, le «metteur en pages» de L'Humanité, Tissier, voit Raoul Villain s'enfuir. Il le rattrape et l'assomme d'un coup de canne. L'assassin est immédiatement arrêté par les policiers. La nouvelle se répand rapidement dans Paris: «Ils ont tué Jaurès!»

 

Le monarchiste Villain a assassiné le seul homme politique d'envergure pouvant faire obstacle à l'entrée en guerre de la France. Député socialiste et directeur-fondateur du journal L'Humanité, ses positions pacifistes lui valaient une campagne de presse particulièrement violente. On le considérait comme un traître au service de l'Allemagne. Dans L'Echo de Paris, Maurice de Waleffe écrivait: «Le général qui commanderait à quatre hommes et à un caporal de coller au mur le citoyen Jaurès et de lui mettre à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle, pensez-vous que ce général n'aurait pas fait son plus élémentaire devoir? Si, et je l'y aiderais.»

 

Emprisonné pour homicide volontaire durant toute la guerre, soit cinquante-six mois de détention préventive - une première dans les annales de la justice criminelle - Raoul Villain bénéficie après l'armistice d'un étonnant verdict d'acquittement, le 29 mars 1919. Indignés, les socialistes protestent: «On a tué Jaurès une seconde fois!» Cinq ans plus tard, les cendres de Jaurès sont transférées au Panthéon. Libre, mais obligé de vivre en France sous un nom d'emprunt (René Alba), Raoul Villain achète une maison aux Baléares. Il y est rattrapé par l'Histoire. En 1936, il est assassiné par les républicains espagnols.

 

Publié dans HISTOIRE FRANCE

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