L'empereur Guangxu empoisonné !

Publié le par Didier

Bruno Philip Le Monde.fr du 23.11.08

 

C'est officiel depuis que l'information a été diffusée, début novembre, par l'agence de presse Chine nouvelle : l'empereur Guangxu, avant-dernier souverain de la dynastie Qing, est mort empoisonné à l'arsenic !
Le drame s'est noué dans la Cité interdite de Pékin, où le Fils du Ciel a expiré, à l'âge de 36 ans, le 14 novembre 1908. Les principaux suspects sont la redoutable et redoutée impératrice douairière Cixi et son eunuque favori, le sinistre Li Lianying.
Les raisons du possible empoisonnement de Guangxu par Cixi, qui était aussi sa tante et fut régente jusqu'à la majorité de l'empereur, s'inscrivent dans le contexte politique troublé de la cour mandchoue. L'histoire est connue, et les soupçons sont aussi anciens que l'écroulement d'une dynastie en pleine décadence : l'empereur, qui avait été écarté du trône et placé en résidence surveillée par la douairière en 1898, avait, à l'époque, soutenu le clan des réformateurs et s'était attiré l'hostilité des milieux conservateurs. Cixi continuait cependant à considérer son neveu comme une menace potentielle pour son "règne" finissant, même si elle l'avait dépouillé de tous ses pouvoirs.
Juste un siècle après les faits, les enquêteurs, diligentés par les autorités chinoises, ont rendu leurs conclusions sur cet événement survenu au crépuscule de l'empire mandchou - les Qing régnèrent sur l'empire du Milieu de 1644 à 1911. L'idée de se lancer dans un travail d'investigation pour faire la lumière sur cet épisode vient d'un producteur de la télévision centrale nationale (CCTV), Zhong Liman.
En 2003, ce dernier prévoyait de tourner un film sur les circonstances mystérieuses entourant la mort de Guangxu. Il suggéra d'analyser les restes du défunt, enterré dans la vaste sépulture des empereurs Qing, près de Pékin. Le corps avait été malmené : en 1938, des pilleurs de tombeaux profanèrent la résidence éternelle du souverain, déplacèrent son squelette et emportèrent les bijoux funéraires. Les profanateurs repartirent en scellant le tombeau et il a fallu attendre 1980 pour que les restes de l'auguste céleste soient remis dans son cercueil.
L'idée de M. Zhong, retenue par les autorités, a mis en marche une impressionnante machine : rien moins que l'institut de l'énergie atomique, le centre médico-légal de la police de Pékin et le département chargé des études de la dynastie Qing ont été mis à contribution. Les techniques les plus modernes ont été utilisées, notamment celle connue sous le nom de "neutron activation" : des fragments humains ou de vêtements sont placés dans un petit réacteur nucléaire, qui ne détruit pas l'échantillon analysé et fournit des résultats très précis. Même sur un cheveu.
"Nous nous sommes inspirés de ce que d'autres ont fait pour démontrer que Napoléon avait été empoisonné à l'arsenic à Sainte-Hélène", nous explique Zhu Chengwei, vice-président du département des archives Qing, un centre ultramoderne occupant à Pékin sept étages d'un immeuble et qui a coûté la somme de plusieurs centaines de millions de yuans.
La comparaison avec l'empereur français est risquée : les dernières études sur les cheveux de Napoléon, réalisées par l'institut italien de physique nucléaire de Pavie, ont confirmé un taux d'arsenic très élevé, mais n'ont pas prouvé que ce dernier avait été assassiné lors de son exil à Sainte-Hélène. Mais peu importe : M. Zhu a consacré toute sa vie à l'étude de l'histoire des empereurs mandchous. L'Etat, explique-t-il, consacre un budget important à cette période, car "les Qing, en tant que dernière dynastie, ont accumulé toute la mémoire de la Chine, chaque nouvelle dynastie compilant toute l'histoire des précédentes"...
Le résultat des analyses effectuées sur les restes de l'empereur ne laisse plus place au doute : les traces d'arsenic découvertes sur deux cheveux - l'un de 26 centimètres, l'autre de 69 centimètres -, deux clavicules, une côte et un os non identifié révèlent un taux de contamination par ce poison de 2 400 fois supérieur à la normale.
A titre de comparaison, l'équipe des chercheurs a effectué des prélèvements sur le corps de l'impératrice Long Yu, épouse de Guangxu, enterrée à ses côtés : le taux d'arsenic décelé sur cette dernière est 261 fois inférieur à celui de son époux. L'analyse de squelettes de hauts fonctionnaires de la dynastie mandchoue révèle des taux 131 fois moins élevés que les prélèvements effectués sur l'empereur. L'hypothèse de la contamination par l'environnement semble également exclue, l'air du tombeau n'ayant révélé qu'une teneur très inférieure en arsenic à celle des cheveux et des os de l'empereur.
Dans les archives des Qing est consigné le récit de la mort de Guangxu. La version "officielle" est que l'empereur, depuis longtemps malade, était décédé de mort naturelle. Un médecin de la cour consigna cependant une autre version dans ses carnets : selon lui, même si Guangxu souffrait de maux divers, il s'était rétabli avant sa mort, qui fut aussi soudaine que suspecte.
Une anecdote transmise oralement par le ministre des rites de la cour, Pu Liang, à son arrière-petit-fils Qi Gong, pourrait permettre d'éclaircir les zones d'ombre : Pu a raconté avoir vu le jour de la mort de l'empereur un eunuque sortir de la chambre de Cixi un bol à la main. Le ministre lui demanda ce que le récipient contenait. Il répondit : "Du yaourt. L'impératrice douairière m'a demandé d'en apporter à l'empereur." Deux heures plus tard, Pu entendit quelqu'un pleurer dans les appartements de Guangxu. Puis une voix s'écria : "L'empereur est mort." Il était 18 h 32, ce 14 novembre 1908.

Publié dans CHINE

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